Passion hélocoïdale

LE VICE SANS FIN

Le sujet, premier, existait : des culottes à foison détournées de leur aspect utilitaire et photographiées avec une boulimie de couleur et de lumière.

Le matériel, petite niche révolutionnaire de la technique photographique digitale (le format micro 4/3), trônait sur le trépied depuis plusieurs semaines. Chaque jour, le 12-40 f/2,8 pro monté sur l’EM1-mark II d’Olympus livrait sa moisson de clichés. Ils étaient collectés rigoureusement, indexés et développés sous Darktable, jusqu’au jour où naquit la curiosité de connaître la longueur focale utilisée le plus souvent sur la plage du zoom.

35 mm ! L’équivalent d’un 70 mm en 24×36, puisque le format du capteur double la focale de l’objectif chez Olympus et Panasonic. Armé du credo mythique qu’une focale fixe est toujours ou presque toujours plus lumineuse qu’un zoom, je me lançais il y a presque trois ans à la recherche d’un 35 mmm à grande ouverture et de bonne qualité. Chasse à l’oiseau si rare qu’à l’époque il n’en existait pas. Ce qui n’est plus vrai aujourd’hui puisque plusieurs constructeurs, dont le bel f/1.4 de Samyang, en proposent.

Mais du temps où je vous parle, à l’époque où j’arpentais les forums tout azimut en quête du Graal, nul 35mm ne pointait à l’horizon, ou du moins je ne regardais pas dans la bonne direction.

Magie des forumeurs Mais pourquoi tu n’essaierais pas un 35mm en argentique ? Ben oui, pourquoi pas ? A trop cloisonner les genres, on imagine que la photo numérique n’a d’autre passé et d’autre avenir que le digital. Et c’est pourtant bien en mettant le doigt sur cette contre-vérité que mon interlocuteur numérique me fit plonger les miens dans un univers de danseuses.

Mon premier dérapage fut un Carl Zeiss Jena 35mm f/2,4. Premier arrivé au nid, c’est lui qui m’a appris à voler, à sautiller de branche en branche parmi la forêt des optiques analogiques. Essayer. C’est sûr, il suffisait d’essayer. Mais tremper l’œil dans ces lentilles d’un autre temps, c’était regarder le monde avec des yeux qui auraient dessillé. D’autres couleurs et une acuité différente.

La technique photographique court comme tout un chacun, parmi ce qui s’invente, s’usine, se vend s’achète, le beau marathon du progrès. Et, bien que j’en possède quelques-uns, les objectifs contemporains pâtissent de trop de… Sophistication, piqué, électronique embarquée…

Je sais, les vieux qui ont ma préférence couraient en leur temps une épreuve assez similaire. Mais avec des concepteurs qui ne regardaient pas le monde comme leurs avatars contemporains. Peut-être est-ce l’historien de l’art qui parle, mais les images issues de ces vieux cailloux ont une patine que n’ont pas celles de leurs enfants. Tout ne se résume pas à une pression sur un déclencheur. La qualité et l’ordonnancement des verres y sont pour quelque chose.

Et, comme toujours lorsqu’on parle de vieilles choses, des maladresses, une usure des matériaux et des revêtements créent cette patine. Je comprends ceux qui recherchent la haute technicité pour élaborer des photographies qui la requièrent. J’essaie de placer mon travail dans une poétique de l’image. A cet égard, dans un objectif les distorsions, le vignetage, les aberration chromatiques ne m’effraient pas, au contraire. Et, ce qui excite sans doute le plus mon appétit photographique, c’est leur propension à donner chair à la lumière. Chacun d’eux possède sa personnalité selon les époques, des 50’s aux 80’s, et chacun est doté d’un potentiel charnel qui m’émeut et me surprend toujours.

Je suis dans un entre-deux que je revendique : je visse à l’aide de maints adaptateurs mécaniques de vieux machins sur un Sony alpha 7… alors oui ! l’électronique embarquée j’y sacrifie aussi. Mais en réhabilitant des seniors selon un concept d’actualité, bien que la modernité finisse par marquer le pas. Les exif accompagnant les clichés sont lacunaires : la distance focale, le type d’objectif, l’ouverture utilisée n’ont plus droit de citer. Mais qui s’en souciera dans une société qui incrémente toute information à des fins ignorées de la plupart d’entre nous. Ces photos ont la magie du mystère. Ou presque, car le photographe sait quelle optique fixe il piochera parmi la cinquantaine à sa disposition : un Icarex, un Skoparex, un Biotar en habit d’alu, un Jupiter? La poétique des noms accompagne la tendresse de l’itinéraire photographique qui ne taille pas sa route à coups de pixels mais plutôt de la réhabilitation d’un savoir-faire d’un autre temps.

Toutes ces petites bêtes, plutôt à la mode aujourd’hui, on les trouve encore pour peu dans les vide-greniers, chez Emmaüs et puis naturellement sur le net. A cet égard, pour s’y retrouver dans le maquis des objectifs, je ne saurais trop vous conseiller le site russo-états-uniens allphotolenses.com. Il référence des milliers d’objectifs, et… seulement des objectifs. Libre à chacun d’y trouver le sien !

Tous mes jouets trônent dans leur vitrine. La farandole des autres m’enjôle. Danseuses, vous avez dit danseuses ? Le vice est sans fin, hélicoïdal.

Aumonière, Jupiter 135 f4 @jpmelot2020

Roulette de wartenberg, hélios 44M f2, @jpmélot2020

Blended lemon, Helios 44 f2 @jpmelot2020

Le bleu du ciel CZJ flektogon 35 f2,4 @jpmelot2020

Les roses de la mariée, tamron sp 90 f5,6 @jpmelot2020

L’ogre, jupiter 135mm f4, @jpmelot2020