culottée
Culotté, comme le fourneau de l’inséparable pipe qui a écumé les jours heureux et les heures sombres.
Quelle idée Th B de t’afficher pervers, fétichiste, obsessionnel et obsédé, voyeur libidineux du fantasme sordide à la petite semaine ? Quelle idée de mettre en photo, avec un systématisme maladif, sens dessus dessous, ces dessous d’elles emplis de vide ?
L’objet. L’objet le plus insignifiant sous les mains habiles des dentelières. L’objet, tout simple, si utile, brûlé vif sur le bûcher des révoltes féministes, insensée libération de la femme corsetée, opprimée de souffle et de poitrine. Et, culotte, tanga, string, brésilien, shorty : toutes subtilités familières des femmes où l’homme perd son latin, mais prend son pied in fine.
Tandis qu’un caleçon, un slip kangourou, un moule-couille refroidissent l’ardeur lingère. Point ne connais-je de boutiques de lingerie pour hommes, alors que, des plus luxueuses aux plus basiques et internationales, des parures à l’envi s’exhibent aux vitrines ayant pignon sur rue. Boutique estampillant le luxe vrai de la bourgade la plus étriquée. Ces étals allument dans les yeux des hommes, au creux de leur ventre où dansent les meutes de loups, la lumière rouge des quartiers réservés au vice institutionnalisé des villes d’Europe du Nord. Car la lingerie est destinée à toucher, à envelopper les attributs sexuels, sans la brusquerie qu’y mettra l’amant, corseté dans son désir oppressé de faire tomber les masques. Quand l’amante, moins rongée par la précipitation qui n’exclue nullement l’urgence, saura s’insinuer où l’autre s’engouffre, désherbe au lieu d’effeuiller.
Néanmoins, incarnations de la parade charnelle, quel assentiment à l’asservissement de la féminité ces chiffons exhibent-ils ? Quel dialogue, quelles compromissions se jouent donc entre plaisir intime et séduction de l’autre, fut-il femme ou homme ? Quelle figure sociale le push-up nourrit-il ? À quelle obédience aux canons de la reproductrice nourricière, dont le subterfuge d’un lait maternel s’est calcifié dans des coussinets amovibles, se plient ces artefacts de chirurgie plastique au silicone ? Actuelles intentions sociétales d’une opulence matérialiste, fièrement portée en sautoir, reflets d’une époque, d’un contexte international, comme le furent en leur temps, les seins fuselés en obus de la Guerre froide, en dôme de la fusée lunaire, en tête chercheuse des missiles déployés dans la Baie des Cochons.
Quelle troublante et transparente apparence du désir entonnent la fine dentelure, le tulle poreux de l’artifice d’une seconde peau épousant le galbe de seins jumeaux comme fesses, l’entre-cuisses, l’entre-jambes, qu’enjambent dentelle, soie, et ce mot exact que j’appris enfin d’une lingère au fait de son métier, la pièce de propreté, cet intime morceau qui donne à la culotte sa vocation première, mais que la mise en scène d’un désir exacerbé sans être pornographe biffe parfois d’un coup de rasoir. Ces culottes fendues, gouffre des amants aventureux où cascade leur connivence. Enfouies au plus profond d’une commode, où rigolent nos arrières-grands-mères aux sous-vêtements idoines, mais bien moins affriolants. Autres temps, autres mœurs, soulevant leur jupons, les femmes pissaient debout dans les campagnes.
Nul ne dit les liaisons langoureuses de celle qui emplit à l’aide de l’étoffe vide, et de celui qui contemple la plénitude de l’étoffe gonflée. Qui tombera à leurs pieds, luxe fantasmatique au destin dérisoire, friandise ouvragée destituée, rapportée au rang de fringue mélangée au caleçon, aux chaussettes et au reste.
La lingerie, cet hymne polysémique de l’imaginaire féminin et masculin qui parfois s’entrecroise, cœurs croisés de play texts. Objet de désirs, de séduire et d’être séduite, de se savoir juste parée de cet ensemble qui exulte corps et esprit, plaisir égoïste de la femme, bien naturel, de s’adonner à la jouissance gratuite de porter ce qui la met en joie, sans intention aucune. Pour ce goût spontané, et parfois rassurant, de l’élégance invisible de tous, son épiderme hormis.
Mais pourquoi Bordaldea exhiber sur FaceBook et ailleurs ces photographies tendancieuses ? Pourquoi multiplier les séances de prises de vues de natures mortes, où les culottes et les soutien-gorges tonitruent ? Pourquoi toutes ces mises en scène dans les endroits les plus variés, les moins adaptés ? Pourquoi ce déballage de culottes et de sous-tifs à n’en plus finir, pourquoi cette obsession qui dure depuis plus d’un an, et qui ne s’éteint pas, se ravive quand enfin tu la crois morte, épuisée de cette petit mort qui te donnera le repos ? Pourquoi ne pas te conformer à la sagesse psychanalytique qui s’exclame, « c’est purement sexuel votre choix de sujet ! »
Photographier des culottes, c’est assez con et inutile pour les artistes de la chambre noire. J’aime me souvenir que la culotte enveloppe le con. Mais j’aime surtout dans chaque cliché me concentrer sur un chose que j’ai choisie pour ses facultés plastiques : opacité, demi-jour de la dentelle, arabesque des bretelles, agrafes, boucles d’ajustement, baleines, et sur les culottes, ce petit nœud croisé, né du besoin de différencier les culottes des petites filles de celles des petits garçons.
La lingerie est ma pomme, ma poire, mon abricot, ma vérité actuelle. Et je me moque de ce qu’on pourrait en dire. Je m’amuse. Je détourne, explicite parfois, mais le plus souvent, je dérobe à l’objet sa connotation sexuelle. Avec mes vielles focales fixes, je joue à composer quelque chose qui n’est plus ce bonnet B chiné sur le bon coin ou chez Emmaüs, mais une forme détachée de sa destination, incongrue dans un univers devenu mien.
Et puis parfois, le jeu est explicite, mais réduit à un détail à peine extrait de l’ombre. Trois agrafes où pend l’étiquette de la taille. Réel. Mais laconique quand l’objet redevient l’objet, de la façon la plus prosaïque qui soit. Car la lingerie est aussi faite de ça, de marques compilées sur un bout de nylon qui souvent irrite la peau si bien qu’on le coupe. Pourquoi nier son entière réalité, avec ses multiples étiquettes, dont la raideur dresse son incongruité sur un dos nu croisé dans la rue, diagonale triviale échappée d’entre les agrafes. Mais porteuse de la somme d’informations, profondeur de bonnet, tour de poitrine, composition, made in…souvent cabalistiques pour les hommes, mais indispensables à la femme pour soutenir nos trésors. Sa fiche technique lui appartient, porteuse d’une charge érotique sous-jacente. Son échappée belle, semblable au tracé sculptural des coutures d’une culotte sous un jean ajusté, dit l’accident, la maîtrise perdue sur l’ordonnancement de la parure. L’étiquette vit sa vie. Cet infime détail rend la féminité faillible. Qu’elle ait agrafé son soutien-gorge par devant ou par derrière, qu’elle ait jeté un coup d’oeil par dessus son épaule dans le miroir pour s’assurer que tout allait bien, qu’elle se soit dit OK, lorsque l’étiquette subrepticement pointe hors de sa place, l’oeil masculin perçoit un abandon involontaire. Il peut faire fausse route. Car la femme le sait : cette foutue étiquette ne tient jamais en place, mais elle oublie à chaque fois de la couper. Or, tant qu’elle est là, elle a tout autant droit de citer dans une photographie que de jolis balconnets.
Bien sûr, le sujet est l’objet de mon désir photographique. Mais quel photographe n’a pas ce désir au fond des tripes ? Je ne connais qu’un objet : la lumière. Je ne connais qu’un fantasme : donner vie au fantasme de la vie. Je ne connais qu’une déshérence : l’étroitesse morale de l’esprit.
J’utilise parfois des mannequins. La raison est limpide : photographier un corps de femme revêtu de lingerie, revient à s’égarer de son but premier. Risquer de mélanger les genres, et surtout de revenir à ce bête objet du désir de séduction dont chaque marque promeut l’image. C’est aller à rebours de mes intentions de visiter et de capturer l’entre-deux habillant ces petites pièces de tissu. Même s’il met en route la machine à fantasmer, le modèle fige l’imagination. Il cimente les fissures, comble les anfractuosités, crève les bulles d’air, fige les langues agiles et sinueuses de la dentelle. Replie les plans spatiaux de ce vertige aérien.
Th. B
Avril 2019