rustica for ever
Apanage ou presque du photographe amateur, dont l’objectif macro constitue un prolongement naturel de l’œil, la nature en son immense diversité est bien ce dictionnaire brut qu’Eugène Delacroix avait résolu d’ordonnancer.
Les fleurs, les petites fleurs, les insectes de toute nature sont pain béni pour les photographes friands de nature morte dans ce qu’elle a de plus vivant et de plus immobile. Pourtant le genre est suspect, désuet, souffrant sans doute de l’héritage de la hiérarchie des genres artistiques établie au XVIIe siècle par l’Académie des Beaux-Arts. Dans la nature morte, le peintre fourbirait ses armes pour accéder au premier rang de la peinture, celle d’histoire qui englobe et mêle tous les autres sujets.
Devenue académique, au mauvais sens du terme, cette vision intellectualisée de l’art a fait long feu. Les photographes, pas seulement ceux du dimanche et des congés payés, lui ont redonné ses lettres de noblesse, tant la lumière agit comme catalyseur et révélateur du champs exploré. Traversés par un rayon de soleil, arrachés au visible et au modelage par une ombre portée, les fleurs, les branches et les arbres jouissent de la même pulsion de vie qu’un modèle vivant. La parole ne leur manque pas que n’entend pas l’appareil photographique.
Ils, dont on peut aisément faire le tour, que l’on peut ployer presque à volonté s’expriment dans la lumière naturelle. S’agissant d’un paysage repéré et sur lequel on reviendra, on calcule automatiquement le moment du retour vers le sujet en fonction de l’éclairage qui le mettra le mieux en valeur. On peut faire tourner un modèle pour que son visage recueille au mieux la lumière. On ne fait pas tourner un arbre. Lui impose au photographe un jeu de patience. Il s’égrène avec le temps, avec cet espace, qui est un monde, entre les secondes. La lumière n’est plus un présupposé de la photographie. Un rameau fleuri peut s’en absoudre. Il perdra en modelé ce que l’éclairage lui offre. Mais il sera fidèle à la vision instantanée.
Peindre avec la lumière, cette métaphore de l’acte photographique, révélait tout son sens lorsque le matériel ne jouissait pas d’une plage iso étendue, ni d’objectifs à grande ouverture, ni de stabilisateur d’image. Le trépied et le déclencheur filaire souple contournaient subrepticement le diktat de la lumière, mais c’est bien en plain éclairage que le sujet prenait tout son sens. Comme souvent, les progrès techniques ont apporté des processus qui ont contribué à changer notre vision du monde, à modifier la perception et la manière de faire. Ou du moins à la faciliter de façon plus abordable et à la rendre renouvelable à souhait.
Sans lumière peu d’obstacles se dressent devant le photographe d’aujourd’hui. Et le jeu de patience avec l’arbre n’a finalement lieu que si l’on décide d’attendre qu’il soit illuminé. Comme pour les autres genres, la lumère contrastée est une option possible de la photographie des sujets végétaux. Un choix. Celui de décider qu’on peindra l’image avec un habit de lumière ou bien avec l’austérité d’une bure bénédictine. Sachant que la rugosité de l’ombre n’est pas synonyme d’un appauvrissement du sujet. Mieux, il le rend dans la vérité d’un instant. Aussi vrai que lorsqu’il s’épanouit sous le soleil.
Voici donc la forme, assez primordiale puisqu’en certains milieux elle distingue la bonne de la mauvaise photo : branche atone, triste, mal mise en valeur. Image d’une nature saine, verdoyante, pleine de sève. Les poncifs sont pléthore.
La question de la forme se pose moins, pas quand l’urgence commande à la photographie. Les grands reporters n’ont pas le temps d’avoir le temps d’attendre. Si bien que le contraste, c’est au mieux qu’ils le définissent.
S’agissant des petites fleurs des champs, l’attente peut être de mise. Mais ce n’est pas une obligation. Là où certains photographes n’ont pas le choix, l’herboriste photographe dispose de possibilités ouvertes et, à moins que son sujet n’ait été abattu par une tempête ou englouti par la montée des eaux, il peut revenir à loisir. Et faire ce que tout un chacun fait en photographie, dialoguer avec son motif, s’en pénétrer et restituer l’image la moins fidèle de ce qu’il montre de prime abord.
Rustica for ever explore ces possibles, à travers la nature réduite à la plus simple expression d’un brin d’herbe et dans des compositions plus vastes où se déploie le paysage. Point de street photography, ni de clichés urbains, mais une vision rurale capturée par un néo-rural.